Archives par étiquette : Peter Corser

Le Cri du Caire 

© Jean-Luc Jennepin

Concert – avec Abdullah Miniawy, chant,  textes, composition – Peter Corser, saxophone, composition – Karsten Hochapfel, violoncelle – Médéric Collignon, trompette. Le 6 septembre, dans le cadre du Festival Arabesques, à l’Opéra Comédie de Montpellier.

Le Festival Arabesques, lieu de rencontres entre la ville de Montpellier et les cultures du Maghreb, a lancé le 5 septembre sa dix-huitième édition. Si le cœur stratégique de la manifestation se trouve dans la belle pinède du Domaine d’O et son infrastructure plurielle, Arabesques investit également plusieurs lieux dans la ville, dont l’Opéra Comédie et la Halle Tropisme.

© Jean-Luc Jennepin

C’est à l’Opéra Comédie que Le Cri du Caire a résonné avec Abdullah Miniawy, poète, slameur, chanteur soufi et écrivain, entouré de trois grands musiciens. Originaire de la ville-oasis d’el-Fayoum au sud du Caire il a grandi en Arabie Saoudite et suivi l’école à la maison. De retour en Égypte, il est repéré par l’association La Voix est Libre alors qu’il chante dans un petit studio où se réunit la jeunesse près de la Place Tahrir, deux ans après la révolte égyptienne de 2011. Les islamistes sont au pouvoir, le second couvre-feu vient d’être levé, la ville reste en ébullition et en suspens. Blaise Merlin, directeur de La Voix est libre l’entend, accompagné du joueur de oud et compositeur Mehdi Haddab, dans ce studio musical 100copies ouvert par Mahmoud Refaat, compositeur de musique électronique et producteur égyptien. C’est dans ce contexte et comme l’un des porte-voix de la révolution égyptienne, qu’il est remarqué. Dans l’étape suivante, décisive, le directeur de La Voix est libre organise la rencontre entre Abdullah Miniawy et Peter Corser. L’écriture poétique slamée et le chant soufi du premier s’enroulent dans le souffle circulaire et continu du second, les textures du chant pénètrent celles du saxophone. Blaise Merlin cherche à créer une formation et propose d’associer un instrument à cordes, la viole de gambe dans un premier temps, puis le violoncelle de Karsten Hochapfel, autre rencontre fondamentale pour le chanteur. Enfin, ils invitent le trompettiste Eric Truffaz – qu’Abdullah Miniawy admire depuis toujours – à les rejoindre.

Ainsi est né le quartet Le Cri du Caire, de ces fragilités dans le croisement des instruments. L’installation à Paris d’Abdullah Miniawy fut l’étape suivante, après trois ans de batailles administratives pour sortir du pays compte tenu de la censure opérant de plus en plus dans les milieux artistiques égyptiens. Rencontres et enregistrements se succèdent, en Allemagne, Espagne, Italie, Tunisie, et Abdullah Miniawy, enregistre avec Peter Corser un titre, Purple Feathers, diffusé sur la plateforme SoundCloud. Il chante dans différents lieux dont au Cirque Électrique, à Paris, en 2017 accompagné de Peter Corser et Karsten Hochapfel et se produit tantôt en trio, tantôt en quartet. Nous avions rendu compte dans Ubiquité-Cultures de deux de ses concerts, en 2018 – le 10 juin, au Théâtre de la Cité Internationale Universitaire de Paris et le 8 octobre, au Théâtre 71 de Malakoff, avec la participation de Yom à la clarinette. Le Cri du Caire dénonce l’oppression et ce cri frappe, partout où il passe. En France, Abdullah Miniawy est programmé dans de nombreux lieux culturels, théâtres et salles de concert, de la Maison de la Poésie au Festival d’Avignon. Et si on lui demande où il puise cette énergie vitale et va chercher sa voix, Abdullah Miniawy dit simplement : « J’écoute ma voix, ma voix intérieure… » (Source : Radio France, émission Ocora Couleurs du monde, le 9 avril 2022).

© Jean-Luc Jennepin

C’est aujourd’hui dans le petit écrin de l’Opéra Comédie de Montpellier, que Le Cri du Caire retentit. Son acoustique protège et concentre la voix et le son, les instruments sonnent merveilleusement. Abdullah Miniawy est entouré de ses deux complices, Peter Corser au saxophone et Karsten Hochapfel au violoncelle. Médéric Collignon est trompettiste invité, il agit aussi comme bruiteur jusqu’à devenir agitateur et provocateur, bousculant l’esprit des lieux. Abdullah Miniawy lance son récitatif et fait fusionner les styles tels que le jazz et l’électro, le rock et la poésie soufi. Sa voix est hypnotique et dotée d’une grande amplitude. Tous les modes et toutes les gammes de la musique orientale, les structures mélodiques, octaves et fractions d’octave, demi-bémol et demi-dièse s’y mêlent et prolongent le spoken word/le mot parlé qu’il lance, allant de la psalmodie au récit, de la plainte à la supplique ou à la prière, « une prière humaine et non pas religieuse » précise-t-il.

© Jean-Luc Jennepin

Abdullah Miniawy est accroché à son micro et puise au plus profond de lui-même pour lancer les mots au plus haut, dans sa langue originale. Il sait aussi s’effacer, sortant de la lumière, pour faire place aux solos des musiciens. Ces instants suspendus sont extraordinairement habités et les instruments racontent. Il y a le souffle et l’écoute de l’un envers les autres, la scansion et le rythme. Il y a aussi les duos chant/saxophone, chant/violoncelle aux musiques lancinantes et aux récurrences. Il y a quatre partitions bien distinctes en même temps qu’un jeu collectif. La voix d’Abdullah Miniawy dégage à la fois puissance et douceur infinie. A certains moments il lance les cris de la rue et ceux de la contestation, à d’autres moments lyrisme et poésie l’emportent. Sur le cyclorama en fond de scène, un visuel fait penser à un aigle noir puis se transforme en gouttes d’or.

© Jean-Luc Jennepin

Après cinq ans de tournée en France et à l’étranger et plus de soixante-cinq concerts, le trio, avec Erik Truffaz comme invité, a sorti en 2021 un album enregistré à l’Abbaye de Noirlac, en partenariat avec La Voix est libre/L’Onde et Cybèle, sous ce même nom, Le Cri du Caire, porté haut, tel un manifeste. « Dites-leur que lorsque le monde recule nous sommes sur la ligne de front ! » écrit-il dans un poème dédié à Giulio Regeni, étudiant italien disparu le 25 janvier 2016 au Caire, dont le corps avait été retrouvé mutilé dans une rue de la capitale égyptienne, après une manifestation pacifique violemment réprimée par l’armée ; un poème adressé à toutes les jeunesses du Monde Arabe qui avaient rêvé de liberté. On trouve aussi dans l’album un chant puissant parlant d’exil et de solitude, de recherche de sens, Pearls of Orphan : « Je veux savoir quand je peux revenir et m’enivrer avec mes amis… Je veux savoir quand je peux revenir et me sentir à nouveau jeune… Je veux savoir quand je peux revenir et me sentir à nouveau chez moi. »

Le Cri du Caire célèbre la diversité du monde et trace ses chemins. Programmé par Arabesques à l’Opéra Comédie de Montpellier, le message est puissant.

 Brigitte Rémer, le 10 septembre 2023

© Jean-Luc Jennepin

Le 6 septembre, à 20h, à l’Opéra Comédie, 11 boulevard Victor Hugo, Montpellier – Tramway : stations Comédie ou Observatoire – Dans le cadre du Festival Arabesques, programmé du 5 au 17 septembre 2023, principalement au Domaine d’O – Site : www.festivalarabesques.fr

L’album Le Cri du Caire a été enregistré à l’Abbaye de Noirlac, il est sorti le 27 janvier 2018 en CD et en vinyle.

Le Cri du Caire

© Nabil Boutros

Abdullah Miniawy textes, chantPeter Corser compositions, saxophone, clarinette, voix – Karsten Hochapfel violoncelle, guitare –  un récital France-Égypte, dans le cadre du Festival La Voix est libre.

Après un récital à la Maison de la Poésie en avril et avant la Cour du Collège Vernet au Festival d’Avignon en juillet prochain, ce Cri du Caire a résonné avec toute sa force de conviction au Théâtre de la Cité internationale universitaire de Paris le 1er juin.

Écrivain, poète et slameur, Abdullah Miniawy qui écrit les textes et porte le chant, voyage et nous fait voyager à partir des mélodies soufies qu’il déstructure à sa manière. Originaire du Fayoum en Moyenne Égypte, porte-parole des jeunes deux ans après le soulèvement de 2011, il porte haut son manifeste de liberté et sa recherche de justice. Il les fait vibrer, les psalmodie, les crie. Sa démarche est engagée autant que rythmée.

Rock, jazz, poésie soufie et électro-chaâbi mêlés conduisent à un syncrétisme singulier et une démarche musicale personnelle empreinte de lyrisme et de spiritualité. Il s’entoure de musiciens hors-pair tels que Mehdi Haddab, virtuose de oud, Peter Corser au saxophone dont le souffle continu impressionne, Marie-Suzanne de Loye et sa viole de gambe, les cordes baroques de Karsten Hochapfel. La Voix est libre entre dans son univers et crée des connections depuis plusieurs années. Abdullah Miniawy s’est produit pour la première fois à Paris au Cirque Électrique en 2017, le son klezmer et jazz du clarinettiste Yom lui répond aujourd’hui accompagné de la danseuse Sandra Abouav. Abdullah Miniawy décline ses recherches et écritures métaphoriques, ses styles et rencontres musicales avec une puissance bien particulière dont on reste marqué. Il parle d’altérité.   

La découverte et la diffusion de cette voix rare et percutante dont la démarche politique engendre la démarche poétique ne se ferait pas sans le travail de la structure de production, L’Onde & Cybèle. Tête chercheuse des démarches singulières à partir de la voix, depuis 1999 et organisatrice de festivals de musiques en tous genres, elle crée La Voix est libre en 2002. Ce Festival, comme les autres manifestations portées par le travail sensible de la structure – dont Festival Jazz Nomades et Festival Rhizomes – a permis la mise en synergie d’artistes et de créations avec des publics jeunes. Invité en 2007, Édouard Glissant a qualifié le travail de La Voix est libre de « poétiques de la relation »D’une ville à l’autre et d’un pays à l’autre, L’Onde & Cybèle est interface entre les jeunes en recherche d’authenticité et de découverte à la recherche de formes emblématiques et de catharsis, et des artistes de tous horizons. Au-delà de la musique, la structure travaille dans la transversalité avec des artistes de tous styles et disciplines – du jazz et du hip-hop au chant lyrique et aux musiques traditionnelles, de la danse contemporaine et du cirque à l’art vidéo.

Au-delà de la force de la voix et du message d’Abdullah Miniawy, la soirée du 1er juin au Théâtre de la Cité internationale universitaire de Paris fut consacrée à d’autres grandes voix : celles de Ghalia Benali (avec Prabhu Edouard aux tablas et Claude Tchamitchian à la contrebasse) et celle de Mounir Troudi (avec Erwan Keravec à la cornemuse et Wassim Halal aux percussions). Dans Le Cri du Caire, création 2018 de La Voix est libre, Abdullah Miniawy était entouré de ses talentueux compagnons de route, ce soir-là Peter Corser et Karsten Hochapfel : le premier est anglais et apprend, très jeune, la clarinette et la guitare, puis le piano et le saxophone. Diplômé en arts du spectacle de l’Université de Leicester, option musique contemporaine, il passe six mois, déterminants, en Inde puis s’installe en France à partir de 1995 où il travaille avec différentes formations et chorégraphes dont Philippe Decouflé et Josef Nadj, avec des danseurs comme Mathieu Desseigne et Marlène Rostaing. Le second, Karsten Hochapfel est formé au conservatoire de Munich où il apprend la guitare jazz, la guitare classique et le violoncelle, puis joue dans de nombreuses formations de jazz et musiques du monde dont en septet avec des musiciens allemands et français. Il joue, arrange et compose pour des groupes de différents styles, avec une inventivité débridée.

La Voix est libre détient l’art et la manière de tenir le rôle de médiateur entre des personnalités et des musiques d’ailleurs, rares et percutantes, et des spectateurs attentifs et séduits par la découverte et l’émotion. Chaque soirée proposée est une nouvelle aventure où s’inventent des formes, des formats, des sons et des expériences, avec générosité et empathie et qui s’inscrivent dans une liberté de pensée et de parole dont on ne sort pas indemne.

Brigitte Rémer, le 10 juin 2018

1er juin 2018, Le Cri du Caire : Peter Corser, saxophone, clarinette – Karsten Hochapfel, violoncelle, guitare électroacoustique – Abdullah Miniawy, chant – Yom, clarinettes – collaboration artistique Blaise Merlin – texte Abdullah Miniawy – traduction Nabil Boutros – musique Abdullah Miniawy, Peter Corser – son Anne Laurin.

Et aussi :  Ghalia Benali et Mounir Troudi et leurs formations – le 6 juin 2018, Les Mains fertiles à la Maison de la Poésie/Paris – le 7 juin 2018, Le Bal des Électro (n) s Libres, au Cirque Électrique – le 9 juin 2018, soirée de clôture avec L’Atelier des Artistes en exil/Paris

Production L’Onde et Cybèle / Festival La Voix est Libre – 2/6 Rue Duc – 75018 Paris tél. : +33 (0)1.73.74.05.59. Site : www.festival-lavoixestlibre.com – Prochain récital Le Cri du Caire, le 17 juillet au Festival d’Avignon, Cour du Collège Vernet : site festival-avignon.com – tél. : +33 (0)4 90 14 14 14.